mercredi 10 novembre 2010

Sans Concession















C'est un peu la Horde Sauvage, Pierre Carles et ses amis reviennent une dernière fois affronter les chiens de gardes de l'idéologie capitaliste. Plus que ces autres films, Fin de Concession est une oeuvre collective.

L’idée de départ était apparemment de “se faire TF1” et de réaliser un remake de Pas Vu Pas Pris. Mais les molosses ont beaucoup appris en quinze ans et Pierre Carles a accedé à une notoriété dans les coulisses du spectacle. C’est sans doute parce que Pierre Carles est devenue une star du milieu que le projet a évolué (comme souvent, les documentaires de Carles sont toujours work in progress).

En lieu et place d’un pamphlet contre TF1 et le pouvoir politique, Fin de Concession est un portrait d’une bande d’amis, dont Pierre Méréjkowsky, qui osent encore faire du cinéma dans la marge. Qui se battent pour vivre comme bon leur semble en faisant ce qu’ils aiment sans faire de concession et si possible avec l’arme de la subversion du rire. Un cinéma itinérant, projeté dans les cafés, les squatts ou les universités, un cinéma do it yourself qui n’attend pas les subventions et qu’il est de plus en plus difficile de voir dans les salles de cinéma. Si Carles est devenu le chef de file de cet esprit, c’est toute l’équipe qui sévissait chez Zaléa TV que l’on retrouve avec une certaine émotion.

Mais Fin de Concession c’est aussi une déclaration d’amour à la chose politique, un cinéma militant sans étiquette rendant hommage aux journalistes et aux intellectuels de combat. Un combat pour la liberté qui tenait à coeur à Pierre Bourdieu et que son élève Loïc Wacquant ainsi que les journalistes du Monde Diplomatique perpétuent avec joie.

Il est amusant de voir face à ces joyeux lurons, les représentants du pouvoir médiatique, journalistes célèbres ou gens fortunés qui se retrouvent pieds et mains liés à leur situation, par contrat ou par statut social. Comme le dit Noël Godin camarade de fête de Pierre Carles, mais absent du film “si l’on est pas subversif, on est un paillasson”. Alors que tout le cirque médiatique pousse les citoyens à la fascination pour le pouvoir, la célébrité et l’argent, panthéon du bonheur, Fin de Concession laisse penser que ces fantasmes sont bien plus destructeurs qu’une vie simple. Le véritable bonheur c’est d’avoir la liberté de se réaliser sans entraves. En sortant du film, il est tentant de rejoindre la bande à Carles et fuir le monde médiatique et nos semblables que la célébrité et l’argent attirent. 

jeudi 4 novembre 2010

Prise de notes

Vu hier Les Mystères de Lisbonne, oeuvre impressionnante et riche, un bon gros morceaux. J'y réfléchis, j'y reviens plus tard. Après des semaines de bataille avec le pole emploi (et le stresse qui va avec) j'ai enfin un rendez vous. Pour fêter ça je me décide a voir Miel cet après midi, l'esprit tranquille pour apprécier l'ours d'or.

jeudi 28 octobre 2010

Je ne suis qu'un crie.


« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur,car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... » 

Aimée Césaire.


On est un peu gêné lorsqu'on sort d'Un Homme quicrie...il s'agit quand même d'un film primé à Cannes. Le prix du jury, ce n’est pas rien. Un peu de respect...

Et puis de la condescendance, le réalisateur est africain, si il est difficile de monter un film en général, l'économie du cinéma étant à une exception près pas très florissante, il est encore plus difficile de monter un film en Afrique et surtout dans un pays en guerre. Il n'empêche qu'Un Homme Qui Crie est un film qui confond épure et schématisme. Et ce n’est pas aider le réalisateur de Darrat que de le récompenser pour ce genre de travail.

Autour d’une piscine d’un hotel de luxe, Mahamat-Saleh Haroun nous propose de suivre la vie quotidienne d’un père, ex champion de natation, et de son fils, tout deux travaillant comme maître nageur pour le compte du complexe hotélier. Derrière ce décor de vacances, la guerre.

On y revient pas, l’idée d’évoquer la géopolitique actuelle à travers l’exemple du Tchad est intéressant; concentrer la géopolitique mondiale et les enjeux auxquels l'Afrique est confrontée ainsi que ses résultats catastrophiques sur les africains autour d’une piscine est une idée brillante. Malheureusement Mahamat-Saleh Haroun ne lui laisse pas le temps de se développer. On peut supposer que c’est à cause d’impératifs budgétaires, ou bien par une trop grande ambition du réalisateur, mais soit le film est trop court pour évoquer la complexité du sort de l’Afrique, soit pas assez radical dans l’épure. Le film, en tout cas, déçoit.  

On se retrouve non avec des personnages complexes, ni même avec des corps représentant des Idées, mais avec des situations hantées par des figures schématique. Là une patronne chinoise évoquant le néocolonialisme économique de la puissante Chine, ici les militaires de l’Eufor qui font office de figurants ne laissant aucun doute sur l’efficacité des forces de stabilités envoyé dans la région. Là, des touristes occidentaux qui rient de bon coeur et profitent de la piscine au moment ou Adam donne son fils aux rebelles: une guerre qui se déroule dans l'indifférence. Et enfin Adam et sa famille qui, bien que moteur de l’action ne trouvent pas la force de changer les choses, maltraités par les mafias tchadiennes qui utilisent les vies de la jeunesse pour conserver leur pouvoir dans une guerre dont le but est insaisissable et maltraité également par la logique des ressources humaines de la direction de l'hotal. L’imperialisme et le capitalisme sauvage, a eu raison de l’oasis de paix qu’aurait pu être l’Afrique, un oasis asséché par le colonialisme européen et artificiellement reconstruit, une piscine, par une Chine trop pressée pour s’interesser aux vraies richesses de ce continent. Une richesse qui se dévoile qu'à la toute fin du film, au bord d'un fleuve.

KABOOM



On a du mal à comprendre pourquoi Gregg Araki a voulu persister à réaliser un nouvel opus à sa trilogie de l'Apocalypse (Totaly Fucked Up/Doom Generation/Nowhere). Gregg Araki, la cinquantaine, tente de retrouver une jeunesse et une innocence définitivement perdue.


Toujours la même histoire d’un beau jeune homme naïf qui tombe brusquement dans l’absurdité du monde, sa folie et sa destruction. Pourquoi pas.  A partir de ce postulat il est toujours possible de partir autre part que vers Doom Generation ou Nowhere. Sauf que Greg Araki semble avoir perdu la main, son écriture patine et il esquisse un palimpseste inutile. On a la désagréable impression de voir un bonus du coffret dvd de sa trilogie culte. Kaboom est certes fournis en dialogues percutants, la direction ainsi que la plastique des acteurs est impeccable et forcement la direction artistique est à la hauteur d’un film de Greg Araki, mais cela ne suffit pas a en faire un film intéressant. Tout est prévisible, pas d'heureuse surprise. C’est un film sans accident. Après le très beau Mysterious Skin et le space cake de Smiley Face, Kaboom est une oeuvre régressive.  



A moins que…A moins que..Cela soit moi qui ai vieillis, plus exigeant, et rattrapé par un monde pas très fun, je sois moins perméable à la légèreté, à la déconne… Mais sa trilogie de l’Apocalypse était plus légère? Il me semble que Doom Generation et Nowhere (n’ayant pas vu Totally Fucked Up) ont sur décrire une certaine génération (une génération maintenant trentenaire) sans but, sans avenir, totalement capté par la société de consommation (pop culture, sex and drugs) attendant leurs morts en faisant la fête. Tout ça construisant un univers visuel cohérent où la fascination plastique (des corps, des plans) nous pousse à faire face à nos angoisses.  Bref un équivalent cinématographique aux histoires adolescentes conté par Bret Easton Ellis où le LSD remplace la cocaïne.



Est ce un hasard qu’Ellis revienne au même moment sur ces Zombis? Probablement pas. Araki et Ellis se retrouvent à singer leur jeunesse et leurs oeuvres sont aujourd’hui emprunt d’un certain cynisme. Mais peut être que ces deux auteurs pointent un aspect peu agréable, que l’on préférait ne pas voir. C’est à dire la description d’une autre jeunesse, celle du Xxie siècle, une jeunesse qui m'est étrangère, qui essaierait de reproduire l’existence chaotique des années 90 en sachant très bien ou cela va les amener. Un jeunesse singeant la naïveté, jouant le rôle que l’on attend aujourd’hui de la jeunesse, une jeunesse qui prend cyniquement la pose, se contentant du chaos, n’éprouvant: ni crainte face à la mort, ni émotions, vidée de toute humanité. Après 30 ans d’autoritarisme consumériste c’est angoissant finalement.

jeudi 14 octobre 2010

Social traitre


La première scène du film nous projète brutalement dans le vrai sujet du film. Non pas les réseaux sociaux, ni facebook, mais la vitesse, notre fascination pour celle-ci et la façon dont elle détruit les rapports sociaux, voire notre humanité. Mark Zuckerberg débite sa stratégie pour intégrer les clubs d’Harward à sa craquante petite amie qui, elle, vient apparemment de rompre avec lui. Son amie l’écoute, lui intègre certaines informations contenues dans les propos de son ex pour répondre sur un autre sujet: les clubs. La logorrhée du personnage principal est ahurissante, et sa capacité à ne pas tenir compte de son amie est particulièrement navrante et l’excellence des dialogues bluffantes. "Moderato Cantabile" façon Howard Hawks. 

A cette vitesse fascinante des dialogues d’Aaron Sorkin, David Fincher répond par le calme de sa mise en scène et l’attention qu’il porte aux personnages. La retenue de Fincher est en soit, un acte de politique face à un monde qui va de plus en plus vite. Il le dira au Monde, la bataille qu'il a menée auprès de Columbia, c'est une bataille pour avoir du temps. Dès lors Fincher mènera l’enquête sur le culte de la vitesse et de la modernité qui caractérise notre monde. Chaque scène sera une pièce de plus au nouveau puzzle du réalisateur, où à travers le portrait de Zuckerberg, Fincher dresse un tableau angoissant d’une société dont le système idéologique valorise la compétition et qui grâce à la technologie va rendre cette compétition encore plus féroce, plus rapide, et plus inhumaine. The Social Network est une version grand public de la pensée de Paul Virilio qui depuis plus de 20 ans met en garde contre cette fascination qu’il considère comme particulièrement inquiétante car pouvant mettre en péril l'humanité. Internet et les réseaux sociaux nous ont fait rentrés dans un monde ou la vitesse a atteint un tel niveau qu’elle se transforme en immédiat. 

Après s’être fait largué, Mark Zackerberg s’ennivre de bières et d’algorythmes pour épater toute la fac à coup de sites pirates misogines et de hacking furtifs. Ainsi née la structure de The Face Book. Eduardo Saverin, le seul “ami” de Zuckerberg travail à faire connaître leur machin cool, mais trop attaché attaché a l’ancien temps, celui du métro et de l’avion, il se fera éliminer par Sean Parker, créateur turbulent de Napster, qui montera une affaire pour Zackerberg avec un fond d’investissement après quelques rails de cocaïne, une ou deux fêtes, trois coups de téléphone et une dizaine de mails tout ça sans bouger de la villa de Zuckerberg qu’il squatte sans gène. Dans les mains de Zackerberg, Facebook est juste un truc cool avec le visage humain de Saverin. 

Une fois rattrapé par la puissance du capitalisme, facebook deviendra ce monstre qui échappe à son créateur. Une fois repris par Sequoïa Capital (rebaptisé; Case Equity dans le film. c’est à souligner car cela révèle les vrais patrons de facebook) le machin cool devient un outil idéologique. Les fonds d’investissements qui utilisent des universitaires spécialistes des mathématiques financières, transformant chaque crise financière en de nouvelles possibilités de profits, se servent également d'informaticiens de génie de la haute bourgeoisie n'ayant d'autres buts que la jouissance de leur génie, pour en faire une mode, quelque chose d'inutile qui nous est devenu essentiel. ainsi des machins cool comme the facebook ou napster deviennent facebook ou itunes.

Internet et Facebook ne sont que des outils que l’on peut contrôler a sa guise si l’on sait s’en servir, mais tel qu’ils sont vendus actuellement se sont des moyens d’uniformiser nos émotions, nos idées et notre vision du monde. Comme le dit Paul Virilio «nous vivons une synchronisation de l'émotion, une mondialisation des affects. Au même moment, à l'échelle de la planète, on peut ressentir la même terreur, la même inquiétude pour l'avenir ou ressentir la même passion. C'est quand même incroyable. Ce qui me porte à croire que nous sommes passés de la standardisation des opinions -rendue possible grâce à la liberté de la presse- à la synchronisation des émotions. La communauté d'émotion domine désormais les communautés d'intérêt des classes sociales qui définissaient la gauche et la droite en politique, par exemple. Nos sociétés vivaient sur une communauté d'intérêt, elles vivent désormais un communisme des affects.”. Le vrai monstre qui se cache derrière facebook et l'internet, n’est pas Mark Zackerberg, écrasé par ce qu’est devenu Facebook, mais bien le capitalisme financier qui a tout intéret controler les réseaux sociaux, l'internet, les flux d'images et d'informations et à imposer le dictate de la vitesse effrénée quitte a détruire l'humanité. Face a cette menace, il faut se battre et pour conserver le contrôle du temps et des outils informatiques. The Social Network est une pierre, importante, pour nos prochaines barricades. Fincher a réussi sa bataille et nous offre une nouvelle fois un oeuvre d'une grande richesse.

mercredi 18 août 2010

Une Education

Je profite d'un article du Monde daté d'hier sur les discriminations qui se banaliseraient à l'école pour vous faire partager une reflexion sur le système scolaire à travers trois films: Battle Royale de Kinji Fukazaku, Elephant de Gus Van Sant ainsi que Zero de Conduite de Jean Vigo. Cet article est  une contribution à la revue internationale universitaire: Sens Public



« Question : A quoi ai-je le plus de chances de devoir ma mort : à un massacre dans un établissement scolaire ou à la foudre ? Réponse : J’ai deux fois plus de chance de me faire tuer par la foudre que par coups de feu dans un établissement scolaire. » (Michael Moore, « Les Etats Stupides d’Amérique », Mike Contre-Attaque, éd. 10/18, collection « Fait et Cause », p. 119.)

« Le lycée, c’est bien connu, est une institution punitive sadique et perverse organisée par des adultes plein de ressentiment sous prétexte qu’ils ne peuvent plus mener la vie de glandouillage irresponsable à laquelle s’adonnent joyeusement les adolescents vingt quatre heures sur vingt quatre et sept jours sur sept. » écrit Michael Moore dans son livre, Mike Contre-Attaque. Edité une première fois en France aux Editions La Découverte pour la sortie du documentaire Bowling For Columbine du même auteur, il est réédité dans une version poche chez 10/18 au moment précis où un autre film s’inspire du massacre de Columbine. Elephant, cependant, se veut être une pure fiction s’interrogeant sur l’origine de la violence juvénile plus que sur ce qui a poussé deux adolescents à massacrer profs et élèves un beau jour dans le lycée de Columbine. La démarche de Gus Van Sant se démarque du documentaire de Michael Moore dans son refus de donner une réponse. Soit, prenons le ainsi. Cependant, si Van Sant ne nous dit pas ce qui a poussé à l’acte ces adolescents, il nous montre ce qui en est la cause. L’une des raisons qui fait de ce film une véritable œuvre d’art, c’est la capacité qu’a l’œuvre de dépasser les vues de son auteur. Si le film de Gus Van Sant dégage une telle puissance, c’est, non pas par son idéal poétique qui rendrait l’œuvre universelle, mais bien par l’esthétique mondialisée du réel. De là l’utilisation d’un même moment vécu par différents adolescents. Ce qui est vécu à Portland peut très bien être vécu dans d’autres coins du globe.

Même situation, pays différents. En 2000 Kinji Fukasaku réalisait un autre film se déroulant dans l’enceinte d’un lycée : Battle Royale. S’il s’agit plus encore ici d’une œuvre de pure fiction, l’un comme l’autre montrent les mêmes lacunes du système scolaire. En premier lieu : l’architecture des bâtiments. Ils sont filmés de façon certes différente, mais se rejoignent dans leur aspect épuré. Et si le bâtiment scolaire1 de Battle Royale a été transformé en camp militaire où « la configuration du bâtiment obéis(sait) à la loi de l’angle droit et de la structure rectiligne », celui d’Elephant n’est pas si différent d’un centre commercial. Ainsi, l’ex-situationniste Raoul Vaneigem écrivait en 1995 dans son ouvrage Avertissement aux écoliers et lycéens : « Ainsi, l’architecture s’employait-elle à surveiller les écarts de conduite par la rectitude d’une austérité spartiate. » On peut tout aussi bien appliquer le discours de Vaneigem au « centre commercial » de Gus Van Sant puisqu’« en 1991 la Commission européenne publiait un mémorandum sur l’enseignement supérieur. Elle y recommandait aux universités de se comporter comme des entreprises soumises aux lois du marché. Le même document exprimait le vœu que les étudiants fussent traités comme des clients, incités non à apprendre mais à consommer. ». Il s’agit ici d’étudiants, mais « en septembre 1993, la même commission récidive avec un Livre vert sur la dimension européenne de l’éducation. Elle y précise qu’il faut, dès la maternelle, former des “ ressources humaines pour les besoins de l’industrie” ». On peut rétorquer qu’il est question de la situation européenne difficilement applicable aux Etats-Unis. Se servir d’un raisonnement post-situationniste pour un film de Gus Van Sant peut sembler également plus ou moins douteux. Michael Moore dans son hallucinant article sur le système scolaire américain confirme le glissement de celui-ci : d’une fonction éducative le lycée tend à se diriger vers un but commercial2. Il ne s’agit pas non plus ici de voir en un agent de la société du spectacle l’un des descendants directs de Guy Debord, cependant Gus Van Sant ne nie nullement l’influence de Bella Tarr sur son dernier long-métrage. À la question que Libération en 1987 avait posée à ce dernier cinéaste « Pourquoi filmez-vous ? » Béla Tarr répondit « Parce que je déteste les histoires, puisque les histoires font croire qu’il s’est passé quelque chose. Or il ne se passe rien : on fuit une situation pour en trouver une autre. De nos jours, il n’y a que des situations, toutes les histoires sont dépassées, elles sont devenues lieux communs, elles sont dissoutes en elles-mêmes. Il ne reste que le temps, la seule chose qui soit réelle, c’est probablement le temps. » Sans le savoir Gus Van Sant a repris à son propre compte le raisonnement d’un cinéaste qui avait digéré les réflexions situationnistes.

Il est temps de pointer un absent de taille dans la relation que le cinéma entretient avec l’éducation et le système scolaire. Évitant de couvrir le champ trop dense du cinéma international, il s’agit ici de se concentrer sur les régions les plus économiquement importantes aujourd’hui. Par exemple, la France n’a pas donné, depuis un certain temps, de pistes de réflexion cinématographique concernant le rapport entre l’adolescent et le système scolaire. Lorsqu’on écarte les comédies caricaturant de façon trop évidente les idées reçues sur le système éducatif, il ne nous reste récemment que les films de Brisseau et de Jean François Richet. Ils ne prennent pourtant pas le lycée comme cadre mais comme un décor parmi d’autres. Il faut remonter au début des années 30 pour enfin rencontrer des réalisateurs qui se préoccupèrent du bâtiment « lycée » comme élément cinématographique. Jean Vigo, comme aujourd’hui Fukasaku et Van Sant, se posa aussi des questions sur la façon de filmer un lycée dans Zéro de conduite. L’architecture de l’internat semble, elle aussi, s’apparenter aux prisons. Aux habituelles enceintes enfermant la cour en lieu de promenade pour bagnards, viennent s’ajouter les murs des cours éclairés faiblement par des fenêtres bien trop hautes pour offrir un espace d’évasion aux lycéens.

Zéro de conduite, interdit à l’époque, soulève un autre problème important dans la gestion de l’humain par le système scolaire : la propension de celui-ci à vider quiconque de son humanité. Une œuvre des années 30 nous conduisait à être optimiste. Malgré l’uniformité imposée de la blouse et la forme rectangulaire des rassemblements d’élèves, le cinéaste anarchiste espérait un soulèvement…. appelait même au soulèvement. Le cinéma contemporain ne propose que des massacres transformant finalement les lycées non en centre commerciaux, ni en prisons, mais bien en camps d’extermination. Gus Van Sant aborde ainsi le rapport entre la violence fasciste des nazis et celle qu’utiliseront les deux lycéens à l’occasion d’une séquence presque anodine. L’horreur des images du premier plan masque celle qui se profile avec l’arrivée du camion qui livrera l’une des armes utilisées par les adolescents. Face aux images de propagande, le premier ne dira pas grand-chose si ce n’est pour renseigner son camarade qui ne semble pas connaître Hitler !

Quant à Battle Royale, il faut le voir comme un ensemble de métaphores illustrant les nombreux coups bas et hypocrisies que subissent puis se font subir mutuellement les adolescents3. L’assimilation du lycée à un camp de concentration, est clairement assumée par Kinji Fukasaku et conduit à poser les professeurs comme des criminels de guerre.

Ces massacres prennent également leur origine dans la transformation de l’adolescent en un produit. Situé au Japon, Battle Royale ne pouvait éviter le cliché de l’uniforme des lycéens de l’archipel. Le costume marin servant autant une critique de l’uniformisation (et par extension de la tentation fasciste) de la société, qu’une illustration d’un fantasme masculin transformant une lycéenne en un logo-érotique de Lolita. Ces deux options se retrouvent également dans le film de Gus Van Sant. Le système scolaire public américain n’accepte pas l’uniforme, mais le système capitaliste a bien vite remplacé l’uniforme par une uniformisation des marques. Marques qui aiment se démarquer par des logos. Le film de Gus Van Sant étant « indépendant », celui-ci ne cède pas au placement de produit typique de la politique économique hollywoodienne. On ne trouvera donc pas de Puma mais un tigre ou un taureau, des multitudes de logos que les lycéens arborent sur leurs vêtements4. Quant à John, sa beauté standardisée trône sur l’affiche et restera associée au film, comme peut le faire un logo avec une marque5. Le jeune homme n’est par ailleurs que la conséquence de la projection du fantasme du réalisateur6 jouant le rôle de logo-érotique en tout point semblable à celui de la Lolita, mais pour un public essentiellement féminin (le sentiment de supériorité vis-à-vis du sexe opposé n’est pas le propre de l’homme, la femme dès qu’elle en a l’occasion en use de la même façon et cela lui procure autant de satisfaction sexuelle). Que cela soit dans Zéro de conduite, Elephant ou Battle Royale, les adolescents sont mis en scène comme une masse uniforme ou comme des logos, mais absolument pas dans leur individualité d’êtres humains. Et lorsqu’ils sont filmés en tant qu’entité, Elephant apporte une idée de mise en scène empruntée au moyen-métrage homonyme d’Alan Clarke. Filmés de dos, les visages des adolescents sont très souvent hors du champ de vision du spectateur. Ainsi le réalisateur augmente la sensation d’inhumanité de ses personnages. La déshumanisation du système scolaire est la première étape d’une société qui remplace les morts-vivants des années 70, brancardée par George Roméro dans ses films, par des fantômes. Les morts-vivants avaient encore un corps, les fantômes l’ont définitivement perdu. En cela le film de Gus Van Sant semble être proche de l’état d’esprit des jeunes qu’il filme. On entendra les déplacements des personnages au moment de la tuerie, mais durant tout le film il n’y a que des corps flottant.

Dans ce monde adolescent, dans cet « Adoland », comme l’écrit très bien La Lettre du Cinéma, il reste un acteur de taille, bien qu’invisible : l’adulte. Indifféremment, les adultes sont dépeints soit comme immatures et incapables d’élever leurs propres enfants, soit de façon autoritaire et despotique. En règle générale ils sont avant tout absents, ou en retrait dans Elephant et Battle Royale. Dans l’environnement que dépeignent les réalisateurs, l’absence de référent positif amène les adolescents d’aujourd’hui à ne plus croire en un avenir meilleur ou tout du moins vivable. Ne pourrait-on pas voir le rôle négatif joué par les adultes dans ces films comme une des principales causes de la violence juvénile ? La première séquence violente de Battle Royale nous montre le père du « héros » pendu car incapable de trouver un emploi. La première séquence d’Elephant est toute aussi significative lorsque le père imbibé d’alcool se voit incapable de conduire son fils à l’école. N’est-ce pas là la première violence, la plus terrible, celle de voir ses propres parents démissionner non pas du rôle d’éducateur, comme il se dit souvent à la télévision, mais face à la vie, tout simplement ? Si la vie est si insupportable, l’idée d’en finir et de « soulager » la vie des autres est forcément concevable bien qu’humainement inacceptable. Or le système scolaire est l’un des premiers instruments fourni par le système néolibéral pour broyer l’humanité des futures ressources des entreprises. Les garçons et les filles qui sortiront vivants du lycée auront tout de même perdu leur humanité et rejoindront l’armée des ombres qui compose notre monde (en cela Battle Royale est l’illustration absolue de l’expérience du système scolaire). Film d’un autre siècle, Zéro de conduite nous montrait l’insupportable autorité des adultes en milieu scolaire poussant les écoliers à la rébellion. Mais si la violence juvénile était finalement créatrice de changement positif, c’était aussi grâce au nouveau professeur qui donne du monde des adultes une vision nettement plus séduisante : celle de l’art (le dessin – animé ! – ) et de la passion d’un travail choisi. Apparemment l’espoir n’existe plus au XXIe siècle. Situation ainsi résumée par Adorno « À l’hystérique qui voulait des miracles [les soixante-huitards] succède l’imbécile qui s’affaire avec rage et bout d’impatience [le yuppie des années 80] en attendant le triomphe du désastre [les adolescents du XXIe siècle.] ».

1 La loi « Battle Royale » oblige par sa violence à délocaliser les lycéens tirés au sort. Malgré tout, le gouvernement installe les cobayes dans un véritable lycée désaffecté. L’action se déroule autour du bâtiment sur une petite île.

2 Michael Moore, « Les Etats Stupides d’Amérique », Mike Contre Attaque, quatrième chapitre, p. 101. « deux cent quarante districts scolaires de trente et un états ont vendu des droits exclusifs de distribution dans des écoles à un des trois grands géants du secteur (Coca-Cola, Pepsi Cola et Dr Peper) ». Si le reste de l’article s’enfonce dans l’horreur, il ne faut pas oublier que l’Europe, et la France en particulier, s’inscrit de plus en plus dans ce système. Lorsque Michael Moore dénonce le manque d’effectifs dans les établissements scolaires de New York, il écrit « il semblerait que les responsables de l’éducation publique dela mairie de New York soient tentés de mettre en pratique la théorie du chaos : fourrez-moi cinq cent pauvres gosses dans un bâtiment en ruine et observez le résultat ! » soit le pitch exact de Battle Royale !

3 Cependant certains actes comme le viol et le suicide sont abordés de front.

4 On peut ne pas être d’accord avec ces propos, mais l’assimilation des lycéens à des animaux est évidente. S’ils ne sont pas des logos de marques, ils sont au moins des bêtes qui n’obéissent qu’à la loi naturelle du plus fort. Leur humanité est donc de toute façon subtilisée, voire totalement niée.

5 « La décomposition a tout gagné. On n’en est plus à voir l’emploi massif de la publicité commerciale influencer davantage les jugements sur la création culturelle, ce qui était un processus ancien. On vient de parvenir à un point d’absence idéologique oùseule agit l’activité publicitaire, à l’exclusion de tout jugement critique préalable, mais non sans entraîner un réflexe conditionné du jugement critique. », écrivait Guy Debord dans sa Construction des situations.

6 La façon dont Elephant à été vendu et promu par la presse démontre la perversité de la société occidentale actuelle. L’écrivain et ami de Gus Van Sant, Dennis Cooper, interrogé par Nelly Kaprièlian, déclare : « Je n’ai pas encore vu Elephant, mais d’après les bandes annonces, je suis curieux de voir si Gus parvient à réconcilier le romantisme qu’il projette sur le monde des adolescents avec le fait que l’une des raisons de la violence de ces garçons, c’est justement que le romantisme projeté par les adultes américains sur les ados les empêche de montrer aux jeunes du respect, et par conséquent de la reconnaissance et de la compréhension. », Inrockuptibles, n°412.

dimanche 15 août 2010

Chatroom




Hideo Nakata n’est pas un réalisateur exceptionnel, c’est un cinéaste un peu complexé qui n’a jamais réussi à se détacher de son admiration pour le cinéma de Kiyoshi Kurosawa. C’est un habile faiseur d’images, chose qui a pendant un temps trompé la critique occidentale. En réalité c’est un réalisateur de série B comme il en existe des dizaines au japon. Partant de ce constat, il ne peut décevoir et il a cet avantage de pouvoir nous surprendre. Cela a été le cas pour Dark Water, à ce jour son chef d’œuvre, et dans une moindre mesure dans son propre remake américain de Ring 2.
Chatroom se situe à la croisée des chemins du cinéma de Nakata. C’est disons-le, son film raté le plus réussi. Il faut dire que le matériel de base ne l’a pas aidé, adapté d’une pièce de théâtre d’Enda Walsh, scénariste de Hunger, l’histoire n’a rien d’extraodinaire. Un jeune garçon à moitié ignoré par ses parents se réfugie dans sa chambre pour se connecter a un réseau social « Chatroom ». Ce réseau se compose d’autant de chambres qu’il y a d’individu connecté. Chaque chambre est une projection de la personnalité réelle ou fantasmé de l’internaute et chacun est libre d’inviter qui bon lui semble.
Le garçon sans qualité se fabrique alors une identité de leader charismatique et manquera pas d’attirer vers lui une bande d’adolescent tous plus ou moins névrosés qu’il manipulera à sa guise. Si on sent bien au niveau du scénariste une tentation de réactualiser pour la génération Internet le Huit-Clos de Jean-Paul Sartre, Nakata évite les réflexions métaphysiques et traite le scénario sous l’angle du thriller de série B.
Plutôt une bonne chose finalement car le parti pris du scénariste semble considérer Les Adolescents comme une bande de cerveaux lents incapables de faire autre chose que de rester devant un ordinateur. Une vision fausse et aigrie qui a du mal à saisir une jeunesse très à l’aise avec les moyens de communication que l’on lui impose. Le scénariste à peur de la jeunesse alors que Nakata souligne sa capacité d’adaptation et d’imagination. Nakata lutte contre son scénariste comme William le fait avec Jim. Cela reflète finalement deux cultures différente, et rends ce film assez plaisant. Il y a une vraie discussion entre le réalisateur (japonais) et le scénariste (irlandais). Le réalisateur perverti le scénario par sa mise en scène et évite le manichéisme d’une bonne réalité s’opposant aux intrigues du monde virtuel.
Nulle opposition, dans sa mise en scène, Hideo Nakata brouille les repères. Pour le scénariste, il y a une frontière a ne pas dépasser, pour le réalisateur la chose est plus complexe. La frontière est tellement mince entre réalité, imagination et univers virtuels qu’il est même tout à fait certain que la réalité n’existe pas. Le dernier plan aurait, certes, pu être évité puisque durant tout le film la mise en scène de Nakata brouille l’idée de monde séparé. Le casting acteurs américains et anglais réalisateur japonais, scénariste irlandais. Nous sommes en Angleterre, mais impossible de savoir ou. Semblant respecter le scénario il trace une ligne entre la réalité et le monde virtuel pour la faire voler en éclats juste avant le fin du film. Il n’y a qu’un monde, celui de la fiction. Nakata évite le krach total grâce son savoir faire. Mais Chatroom ne bouleversera sans doute pas les adeptes de science fiction et de fantastique qui lui préférons avec raison Kairo ou Ghost In The Shell. Mais le cinéma serait bien triste si il n’y avait pas de place pour des petits films comme Chatroom qui avec une certaine modestie fait aussi bien qu’un blockbuster dit « intelligent » comme Inception.