jeudi 12 août 2010

From Hell

Il y a un début a toutes Histoires. Il y a celle du pêché originel, il a l’autre expédiant Lucie au firmament. Il y a celle de Shéhérazade, et l’autre du Petit Poucet. Il y a celle de l’occident et, pour mémoire, bien d’autre encore. Il y a celles qui ont une fin et d’autres interminables. Les meilleures sont les plus courtes ce qui est le cas du cinéma comme du Xxe siècle. Il y a pourtant un point commun a toute histoire : on ne peut comprendre la fin seulement, si l’on a saisi le début. Autrement dit, ce que l’on vit aujourd’hui n’a de sens qu’en se situant par rapport au passé pour se répercuter indéfiniment dans l’espace temps. Chaque fait du présent contient la trace du passé et les germes du futur.

Certains y voient là, la présence d’un esprit éternel et immuable qui perpétuerait des actes dont les sources ont depuis longtemps disparues. Ce sont Les libres Esprits du moyen âge accouchant du mouvement punk des années 70 selon Greil Marcus, c’est la reine des damnés parcourant les siècles pour Anne Rice, c’est aussi et surtout Jack L’éventreur accouchant du Xxe siècle selon « From Hell » d’Alan Moore. C’est cet esprit qui parcourt aussi le film, comme il le faisait bien avant pour le cinéma. Si la pellicule à bien une fonction, c’est bien celle de piéger le présent pour offrir ensuite la trace du passé au futur qui, depuis, est devenu présent. S’il y a bien une histoire qui devait être adapté sur grand écran, c’est bien celle du mythe de l’éventreur selon « From Hell ».

  Élaguant largement sur l’entreprise métaphysique d’Alan Moore, les frères Hugues se rapproprient aujourd’hui le mythe pour nous parler du temps, évidemment, mais surtout pour apporter une pierre a l’édifice du cinéma aujourd’hui plus que centenaire. Car comme avant eux, Tim Burton ou Baz Lurhman, les frères Hugues réalisent avec « From Hell » un film synthétisant l’histoire formelle et narrative du cinéma. Car tout le film ne parle que de ça. De cinéma, d’histoire et de création. c’était le cas de Sleepy Hollow et de Moulin Rouge, c’est le cas de From Hell aujourd’hui. Il y a le crime ( création ) la vision du crime ( le projection ) la trace du crime ( le film ) et la naissance du mythe ( le cinéma ). Film de l’ère numérique, From Hell, n’en reste pas moins ancré dans l’univers du film muet. C’est le crime originel ( la scène originelle ) qui devient la clé du film. Déposant le cadavre encore frais d’Annie Chapman, « Jack » le couvre brièvement de sa cape se lève et se dissout à proprement parler sous nos yeux. C’est alors qu’un Bobby s’approche du corps immobile, suivi d’un autre, puis d’un autre disparaissant chacun a la suite de l’autre laissant le corps inanimé. La nuit fait place au jour, chaque seconde à vue son lot de masse humaine, tout en préservant l’immobilité du corps meurtri. Cette scène disséquer par un lent travelling se trouve parasité par un extraordinaire accéléré, permettant de visualiser dans un seul plan, l’éphémère et l’éternel. En quelques secondes, le spectateur voyage à travers l’histoire du cinéma. Passant du Dracula de Tod Browning ( Jack/Dracula ), aux films de la Hammer ( traitement de la pellicule effectuée par le chef op’ du dernier David Lynch ), en passant par les féeries de Méliès ( effet de disparition ) pour finir par un effet de style dernièrement utilisé dans l’expérimental Requiem For A Dream ( l’effet numérique conjuguant ralentit et accéléré ).

 Prenant comme décor l’époque victorienne d’où jaillissent les premiers films, From Hell n’en reste pas moins un film décrivant les agissements d’un « surhomme » tout droit sortit d’un Comics. Ici, Jack L’Eventreur délaisse sa véritable identité pour se vêtir d’une cape et d’un couvre chef dont l’ombre permet de cacher son visage. Affublé de ce costume il se laissera posséder par l’esprit de l’H/histoire qui survolait auparavant la ville comme l’ouverture du film le souligne. Le mal se détache du ciel pourpre pour plonger sur la ville, observer ses victimes et posséder enfin le corps de l’éventreur. Poursuivant la trace de Moore, les frères Hugues n’oublient pas que l’histoire originelle est autant une bande dessinée parut chez DC Comics qu’une réflexion sur la naissance du crime scientifique se prolongeant plus tard par l’industrialisation de ce même crime. Alan Moore notait qu’Hitler naquit au même moment que les évènements de White Chapel. L’ombre du nazisme plane autant dans le film, mais sous la forme des lynchages des juifs. Ce n’est donc pas un hasard, si les frères Hugues font de lui un super-vilain, version pervertit du Shadow : disparaissant et apparaissant ou bon lui semble. L’idée originelle du super-héros n’est pas si éloignée du « surhomme » aryen.

À sa trace, un jeune inspecteur use de ses propres pouvoirs pour déjouer le plan du malin. Ses visions consécutives à de nombreuses prises de drogues ne lui permettent pourtant pas de démasquer le criminel. Pour cela il eut fallu user du montage, mais Abberline n’en est plus capable. Happant docilement ses visions, il ne les comprend pas et les projettent sur l’écran noir de ses paupières. Il assiste, alors aux crimes ( la création ) en spectateur ( du film ) incapable d’arrêter le coupable ( le créateur ). Il s’agit alors pour les frères Hugues de poser la question de la responsabilité du spectateur face aux images. Projecteur, AberlineAberline tente de donner des indices pour appréciés l’ensemble d’un film. Mais comme le critique, Aberline ne donne qu’un aspect du film, et l’appauvris par la même occasion. Le spectateur, lecteur admettant les visions d’Aberline, c’est Dodley, par exemple, qui à confiance dans les visions de son collègue, ne verra que l’aspect général de la création, du crime. Sa vision en est alors amoindrie et suivant l’ombre d’Aberline, il ne sera capable que de répéter. Diffusant les visions de manière orale, il perd de vue de façon flagrante le programme établis par le créateur. De même il ne sera capable que de répéter des proverbes et des aphorismes. Il y a aussi les commanditaires de la création. Les francs-maçons. On aperçoit aussi l’ombre des opposants à la cour royale, les terroristes de l’I.R.A.. On voit se profiler à travers ses différents portraits, autant le cinéphile que le spectateur avertit et les producteurs du film.

Il y a enfin Mary, personnalisation du public, qui est l’enjeu des commanditaires, mais qui leur échappe à chaque nouvelle tentative. Chaque personnage interroge son double spectateur. Comment doit-on, se comporter face aux images ? Doit-on, se comporter comme Aberline et ne découvrir qu’un morceau de l’acte de création ? Doit-on, suivre aveuglement ceux qui ne comprennent pas ce qu’ils voient ? Doit-on combattre le système qui crée ce cinéma et qui le pervertit ? ou, doit-on être autant l’enjeu que le spectateur naïf face a la création ? Les frères Hugues se montrent bien pessimistes. Une chose est sure pour eux, il y a un esprit qui traverse le Xxe siècle, celui du cinéma.

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